Le risque de décès suite à un infarctus du myocarde est doublé chez les femmes. Pour étudier ce surrisque féminin encore inexpliqué, le service de cardiologie de l’hôpital Lariboisière participe à une vaste étude nationale jusqu’en 2019 : l’étude WAMIF. Les explications du Dr Stéphane Manzo-Silberman, cardiologue (CHU Lariboisière, AP-HP, Université Paris VII, INSERM UMRS 942) et investigateur principal de WAMIF.
A l’hôpital, les femmes décèdent deux fois plus suite à un infarctus du myocarde. Quelles sont les hypothèses ?
Dr S. M-S : Ce risque accru de décès perdure même lorsque l’on tient compte du fait que lorsque les femmes font un infarctus du myocarde*, elles ont en moyenne dix ans de plus que les hommes, souffrent plus fréquemment de diabète, d’hypertension artérielle, d’insuffisance cardiaque etc. Le délai de prise en charge de l’infarctus du myocarde est plus tardif chez les femmes car elles appellent le SAMU en moyenne au moins 15 minutes plus tard.
Afin de vérifier si ce paramètre pouvait expliquer, du moins en partie, ce risque accru de décès, une étude française* (parue en février 2018) a collecté les données de sept registres régionaux d’infarctus du myocarde dont le registre national FAST-MI, regroupant ainsi près de 17 000 patients pris en charge par le SAMU et les urgences d’hôpitaux dotés d’un centre d’angioplastie **. La conclusion est que le retard d’alerte par les femmes n’explique pas la surmortalité retrouvée chez elles. Cette mortalité hospitalière est presque doublée (multipliée par 1,85). Ce qui est rassurant, c’est qu’une fois l’alerte donnée, le délai de prise en charge par les équipes médicales et paramédicale est similaire, quel que soit le sexe.
Quelles sont les voies de recherche pour expliquer et réparer cette injustice liée au sexe ?
Des pistes biologiques sont envisagées, comme par exemple un niveau d’inflammation plus élevé chez les femmes, une prédisposition particulière à la formation de caillots (thromboses) appelée thrombophilie ou encore une surreprésentation des femmes dans certaines maladies exposant à un risque accru d’infarctus du myocarde, par exemple une inflammation des parois des vaisseaux sanguins d’origine auto-immune (vascularites systémiques).
Pour y voir plus clair, l’étude WAMIF (Women Acute Myocardial Infarction in France) se focalise sur les femmes âgées de moins de 50 ans admises pour un infarctus du myocarde dans 34 centres au niveau national. De plus en plus de femmes jeunes font un infarctus du myocarde. Jusqu’à maintenant, on les pensait protégées par leurs hormones (estrogènes). Nous recherchons chez elles les facteurs de risque (bilan biologique avec des marqueurs de thrombophilie, d’inflammation etc.) mais aussi d’autres souvent laissés de côtés en cardiologie (statut hormonal notamment la prise de contraceptifs, antécédents de grossesse pathologique, traitements hormonaux suivis, précarité/stress socio-économique …) et également le type d’infarctus. Par exemple, dans 20% des infarctus du myocarde chez la femme, aucune obstruction des artères du cœur (coronaires) n’est impliquée. Ce peut être un spasme coronarien (constriction soudaine et intense d’une artère coronaire), une dissection (déchirure) spontanée des artères coronaires, l’érosion d’une plaque d’athérome ***) ou la prise de toxiques (cocaïne, cannabis). A ce jour, 142 patientes ont été inclues sur les 300 prévues. WAMIF est la première étude prospective centrée sur l’infarctus du myocarde chez la femme de moins de 50 ans, comportant des données biologiques et notamment hormonales. Résultats attendus pour 2020.
Nous nous préoccupons aussi de repérer si la maladie athéromateuse, c’est-à-dire le dépôt de cholestérol sur la paroi des artères, a déjà colonisé d’autres territoires que les coronaires ou les carotides, l’objectif étant, dans un second temps, de formaliser une stratégie de dépistage et un suivi cardiologique et coordonné systématisé de ces femmes à risque, en vue de prévenir un évènement cardiovasculaire. Nous pouvons compter sur le Centre Universitaire de Diabétologie et de ses Complications (CUDC) traitant les femmes diabétiques et les Urgences Céphalées (les femmes entrent dans la maladie cardiovasculaire plus fréquemment par un accident vasculaire cérébral), deux structures hébergées au sein de l’hôpital Lariboisière.
Hélène Joubert, journaliste.
* Destruction d’une partie du muscle cardiaque appelé myocarde suite à la formation d’un caillot ou thrombus dans l’artère coronaire qui irrigue le cœur.
** dilatation des artères irrigant le cœur (coronaires) sténosée (rétrécie).
***Accumulation sur la face interne de l’artère de lipides, glucides complexes, sang et produits sanguins, tissus adipeux, dépôts calcaires et autres minéraux.
Référence :
Manzo-Silberman S. et al. Influence of gender on delays and early mortality in ST-segment elevation myocardial infarction: Insight from the first French Metaregistry, 2005–2012 patient-level pooled analysis. Cardiology. July 1, 2018Volume 262, Pages 1–8. https://www.internationaljournalofcardiology.com/article/S0167-5273(17)37116-4/fulltext