L’interview du Dr Léa Cacoub, cardiologue dans le service de cardiologie de l’hôpital Lariboisière (AP-HP, Paris)
Quelles sont les répercussions cardiovasculaires de la Covid-19 chez les malades hospitalisés en service de cardiologie ? Pour répondre à cette question, le Dr Léa Cacoub s’est plongée dans les données de la littérature scientifique, très tôt au début de l’épidémie. Un an après la découverte du virus SARS-CoV-2, que sait-on de sa nocivité vis-à-vis du système cardiovasculaire ?
Quels sont les liens entre le système cardiovasculaire et la Covid-19 ?
Dr L. Cacoub : Pour infecter son hôte, le virus SARS-CoV-2 se lie à une protéine présente à la surface des cellules : le récepteur ACE2, une enzyme de contre-régulation du système rénine-angiotensine. Or, celle-ci est fortement exprimée dans les poumons mais aussi le cœur (myocarde) et les reins. La protéine ACE2 est une sorte de porte d’entrée qui permet ensuite au virus d’envahir les cellules de l’hôte.
Quelles sont les conséquences cardiaques de la Covid-19 ?
Les principales pathologies cardiaques résultant de cas graves de Covid-19 sont des myocardites (infection du myocarde) aiguës virales, des syndromes coronariens aigus, des troubles du rythme cardiaque (arythmie) supra-ventriculaires ou ventriculaires secondaires à ces atteintes du muscle cardiaque (fibrillation atriale ou ventriculaire) ainsi que des troubles de la conduction cardiaque.
Précisément, des cas d’atteintes cardiaques liées au virus ont été décrits, dont des myocardites, parfois plusieurs semaines après avoir contracté l’infection, éventuellement accompagnées de signes ORL (atteinte des ganglions lymphatiques ou adénopathie) et cutanés (cellulite cervico-faciale), témoignant d’une réaction inflammatoire généralisée à plusieurs systèmes de l’organisme (ORL, cardiaque, etc.) ; la plupart survenant chez des adultes relativement jeunes.
Par ailleurs, la question reste posée de savoir si le virus en lui-même est responsable de troubles du rythme cardiaque.
Enfin, des anomalies cardiaques persistant plus de deux mois après le diagnostic de Covid-19 sont présentes à l’IRM chez une proportion importante de patients, qu’ils aient eu une maladie Covid-19 grave ou non, suggérant la nécessité de poursuivre sur le long terme la surveillance des conséquences cardiovasculaires de cette infection.
Quels sont les facteurs de risque cardiovasculaire favorisant une Covid-19 sévère ?
En mars 2020, des signaux sont apparus suggérant que les patients ayant des maladies cardiovasculaires sous-jacentes étaient plus à risque de formes graves de Covid-19. Or, en dehors de l’obésité (IMC>30 kg/m2), il n’y aurait finalement pas de surrisque de forme grave de la Covid-19 du fait d’autres facteurs de risque cardiovasculaires. Ni l’hypertension, ni le tabac, ni le diabète n’exposent à un risque accru de formes graves ou d’hospitalisation liées à l’infection par le SARS-CoV-2.
Les patients porteurs d’une pathologie cardiovasculaire sont vulnérables en ce sens qu’ils sont souvent âgés, un facteur de risque reconnu de sévérité de la maladie.
Il est possible aujourd’hui d’affirmer que le coronavirus SARS-CoV-2 a plus d’impact sur le système cardiovasculaire que les facteurs de risque cardiovasculaires n’exposent à des formes graves de l’infection.
Au début de l’épidémie, certains traitements antihypertenseurs ont été soupçonnés d’exposer à des formes sévères de l’infection. Les sociétés savantes ont rapidement démenti et incité les patients à poursuivre leurs traitements. Les personnes dont la maladie chronique comme l’hypertension, l’insuffisance cardiaque ou le diabète, la dyslipidémie, est bien équilibrée limitent leur risque de développer une forme grave de la Covid-19.
Des personnes infectées mais sans problème cardiovasculaire peuvent-elles être sujettes à des manifestations cardiovasculaires graves ?
En effet, il semble probable que même en l’absence de maladie cardiaque antérieure, le muscle cardiaque puisse être affecté par le nouveau coronavirus. Nous nous sommes rendu compte que certaines personnes, pourtant sans maladie cardiovasculaire préexistante, pouvaient déclarer une maladie thromboembolique – artérielle ou veineuse – de type phlébite et embolie pulmonaire, et ceci très rapidement pendant l’hospitalisation ou à courte distance de la phase aigüe de l’infection. Ils ne souffraient pas obligatoirement de formes très sévères de la Covid-19. Contrairement aux patients habituellement pris en charge en réanimation pour d’autres causes que la Covid-19, chez ces patients, des embolies pulmonaires, des thromboses de cathéters artériels ou veineux périphériques peuvent survenir très rapidement, dans les 24 à 48 heures après l’entrée en service de réanimation et en dépit d’une anticoagulation préventive.
Des recommandations françaises ont donc été publiées, préconisant des médicaments anticoagulants dans une optique curative chez toute personne Covid-19 + sujette à une complication thromboembolique. En réanimation, il est conseillé de doubler les doses d’anticoagulation prophylactique (en prévention). La pathogénie du virus semble conférer un état d’hypercoagulabilité chez des personnes jeunes, lesquelles n’ont pas d’autres facteurs de phlébite ou d’embolie pulmonaire.
Quelles sont les mesures prises dans le service de cardiologie pour garantir la sécurité des patients vis-à-vis du risque de contamination ?
Tout d’abord, je délivrerais trois conseils aux patients souffrant de maladies cardiovasculaires : ne pas hésiter à consulter son médecin et/ou son cardiologue, continuer à être observant vis-à-vis de son traitement et ne pas craindre de se rendre à l’hôpital pour y passer des examens, qu’ils soient programmés ou en urgence.
Nous avons pris des mesures pour protéger au maximum la contamination des patients dans le service de cardiologie : les chambres d’hospitalisation sont devenues exclusivement des chambres seules ; les patients et les soignants sont tenus de porter un masque chirurgical en permanence ; une RT-PCR est réalisée chez tout patient entrant en hospitalisation le jour même de son arrivée et les patients porteurs du COVID-19 sont pris en charge dans un secteur dédié où seuls d’autres patients porteurs du COVID-19 sont hospitalisés.
Propos recueillis par Hélène Joubert, journaliste.