Le service de cardiologie de l’hôpital Lariboisière (AP-HP) participe depuis 2020 à l’expérience nationale de télésurveillance ETAPES, reconduite jusqu’au 30 juillet 2022. Il s’agit d’évaluer la faisabilité et l’intérêt de la surveillance à distance des patients souffrant d’insuffisance cardiaque, au moyen d’outils connectés qui les relient à leurs soignants, à l’hôpital et en ville. L’objectif est de réduire les hospitalisations pour décompensation cardiaque ou événement cardiovasculaire. En dépit de difficultés d’organisation, l’expérience est jugée concluante et la télésurveillance sera accessible aux prescripteurs de ville ou hospitaliers à partir du 1er août 2022 ; le cahier des charges et le remboursement étant encore en attente.
La télésurveillance médicale de certaines pathologies chroniques peut constituer un levier important pour améliorer l’accès aux soins et l’efficience des prises en charge des malades, en réduisant les hospitalisations. C’est certainement une opportunité pour redessiner un parcours de soins ainsi qu’une organisation adaptés aux enjeux que doit relever le système de santé français ; des enjeux démographiques liés aux ressources médicales et à une population vieillissante, mais aussi économiques et techniques.
Selon le Décret n°2010-1229 du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine, la télésurveillance a pour objet de « permettre à un professionnel médical d’interpréter à distance les données nécessaires au suivi médical d’un patient et, le cas échéant, de prendre des décisions relatives à la prise en charge de ce patient. ». Elle induit un suivi d’indicateurs cliniques ou biocliniques à distance.
L’insuffisance cardiaque est une maladie grave et fréquente puisqu’elle concerne environ 1,2 million de personnes en France (2,3 % des adultes), un chiffre en augmentation constante car la population vieillit. Cette maladie est à l’origine de près de 170 000 hospitalisations annuelles. Après une hospitalisation pour décompensation aiguë d’insuffisance cardiaque, 25 % des malades sont ré-hospitalisés à trois mois et 45 % dans l’année. |
La télésurveillance testée à l’hôpital Lariboisière
Fin 2018, les pouvoirs publics initiaient une expérimentation de télésurveillance baptisée ETAPES, pour Expérimentations de télémédecine pour l’amélioration des parcours en santé.
L’expérience ETAPES propose une télésurveillance proprement dite ainsi qu’un accompagnement thérapeutique grâce à des solutions techniques dédiées dans cinq contextes cliniques : le diabète de type 1, l’insuffisance cardiaque, l’insuffisance rénale chronique, les prothèses cardiaques implantables et l’insuffisance respiratoire.
Pour être éligible à un programme de télésurveillance, le patient insuffisant cardiaque doit correspondre à certains critères médicaux*. « L’insuffisance cardiaque est un modèle pour l’expérimentation de la télésurveillance, explique le Pr Damien Logeart, cardiologue et responsable de l’unité Insuffisance Cardiaque dans le service de cardiologie de Lariboisière, et nous « télésurveillons » en particulier les patients les plus déséquilibrés du point de vue de la maladie. Depuis un à deux ans, nous constatons une montée en puissance de la participation des médecins, généralistes et spécialistes en cardiologie au programme de télésurveillance ETAPES dédié à l’insuffisance cardiaque. Les esprits sont plus mûrs et la pandémie de Covid-19 a probablement joué un rôle dans l’adhésion grandissante des soignants au suivi à distance des patients au moyens d’outils connectés. La dernière loi Hôpital Patient Santé Territoire
(HPST) a entériné l’entrée de la télésurveillance dans le droit commun à partir du 1er aout 2022, c’est-à-dire dans le soin courant, accordant un remboursement de fait sur prescription médicale. De manière pratique, le cahier des charges de la télésurveillance n’est pas encore publié mais cela ne saurait tarder. La télésurveillance sera prescrite pour des périodes de six mois. Un accompagnement thérapeutique répété au cours du suivi y sera inséré, comme dans l’expérimentation ETAPES. »
La télésurveillance dans l’insuffisance cardiaque : de quoi parle-ton ?
La surveillance à distance d’un patient insuffisant cardiaque nécessite a minima un outil connecté, comme une balance, souvent associée à un auto-questionnaire portant sur les symptômes comme une toux nocturne, une dyspnée (essoufflement), etc.
« Les réponses à l’auto-questionnaire sont analysées par les algorithmes, poursuit le Pr Logeart, lesquels peuvent générer des alertes auprès du prestataire qui les relaie au médecin ou au service prescripteur. Par exemple, dans l’insuffisance cardiaque, une prise de poids de 2-3 kilos sur quelques jours est souvent décisive vis-à-vis du pronostic, car traduisant une rétention hydrosodée et une décompensation. Cela peut constituer une alerte, comme d’autres modes de décompensation ou d’aggravation de l’insuffisance cardiaque. A l’inverse, une perte de poids subite peut être le signe d’une déshydratation, d’une prescription inadéquate, etc. ». Diverses données telles que les symptômes, le poids, la fréquence cardiaque, la pression artérielle, voire l’électrocardiogramme peuvent être collectés sur une plateforme sécurisée médicale, et utilisées pour guider le professionnel de santé.
D’autres outils connectés viendront peut-être étoffer l’arsenal de la télésurveillance dans l’insuffisance cardiaque, comme des gilets bardés de capteurs indiquant la fréquence cardiaque, la température, la saturation en oxygènes, un tensiomètre, un électrocardiogramme, etc.
La télésurveillance, au sein d’un parcours de soin encadré
Il existe aujourd’hui plusieurs freins à l’utilisation de la télésurveillance en soins courants, comme l’explique Damien Logeart avec, d’une part, « l’acceptabilité du dispositif par le patient et son accord pour la transmission des données de santé, ce qui est probablement un problème générationnel. D’autre part, la sécurisation des données reste un sujet sensible et les réticences persistent. Quant au modèle économique, nous attendons de connaître le forfait de remboursement qui va être proposé, qui inclura le dispositif et le suivi. » D’après la Société européenne de cardiologie (ESC 2021), la télésurveillance du patient insuffisant cardiaque permettrait de réduire les hospitalisations pour décompensation cardiaque ou événement cardiovasculaire. Avec un moindre niveau de preuve, on pourrait espérer réduire la mortalité. Mais de manière générale, les résultats des essais conduits sur l’utilité clinique de la télésurveillance sont assez nuancés : « Il semble que la télésurveillance seule ne soit pas la panacée, remarque le cardiologue, et qu’elle soit profitable uniquement si l’on cible les patients qui en ont réellement besoin (insuffisance cardiaque déséquilibrée, hospitalisations répétées, éloignement géographique du lieu de soin… ) et surtout si elle s’intègre dans une organisation plus globale de parcours de soins comprenant des ressources humaines qui accompagnent le patient, comme des infirmières en pratique avancée ou de coordination, en charge de la réalisation de l’éducation thérapeutique du patient/ETP, de la gestion des alertes, des consultations non programmées, des consultations de titration des médicaments, du repérage des fragilités gériatriques, des hospitalisation à domicile pour traitement diurétique intraveineux et du télésuivi des prothèses rythmiques implantées. »
La Cellule d’expertise et de coordination de l’insuffisance cardiaque sévère (CECICS) L’organisation de la prise en charge en vue de la télésurveillance et de la prévention des ré-hospitalisation des personnes insuffisantes cardiaques repose sur la structuration d’une unité clinique dédiée à cette prise en charge. A Lariboisière, il s’agit d’une Cellule d’expertise et de coordination de l’insuffisance cardiaque sévère (CECICS) qui est constituée de deux infirmières de coordination et de trois cardiologues « délégants » qui mettent en œuvre ensemble un « protocole de coopération insuffisance cardiaque ». En sortie d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque, il est proposé aux patients d’intégrer ce parcours de soins incluant notamment une télésurveillance avec accompagnement thérapeutique et/ou des consultations rapprochées de titration, la possibilité de consultation urgente, ceci pendant six mois, renouvelable une fois (pris en charge forfaitaire par l’Assurance-maladie). Un accès à la filière gériatrique est proposé en cas de fragilité repérée. Le retour des patients est généralement positif, car ils apprécient cette prise en charge rapprochée et tirent parti de l’enseignement thérapeutique qui leur est dispensé. Il est important de noter que ce parcours de soins peut se superposer au parcours PRADO* de la CNAM d’une part et/ou d’autre part, à une réadaptation à l’effort. La CECICS de l’hôpital Lariboisière : Pr Damien Logeart, médecin coordonnateur Infirmière coordinatrice : Sophia Guibert Cardiologues référents : Pr D Logeart, Pr ACohen-Solal, Dr F Beauvais, Dr C Ketfi *PRADO est le service d’accompagnement à domicile personnalisé de l’Assurance maladie après hospitalisation |