La réalité virtuelle prend sa place au sein des hôpitaux. En particulier, l’hypnose dispensée au moyen d’un masque de réalité virtuelle fait progressivement ses preuves dans le soulagement de la douleur et de l’anxiété au cours de chirurgies, de procédures en urologie, en odontologie, etc., ainsi que chez des patients souffrant de douleurs aiguës et chroniques. Cet accompagnement hypnotique par réalité virtuelle pourrait également s’avérer bénéfique lors des actes de cardiologie interventionnelle, comme le suggère une étude conduite dans le service de cardiologie de l’hôpital Lariboisière (AP-HP, Paris) à l’aide du masque d’hypnose par réalité virtuelle HypnoVR.
L’accompagnement hypnotique par réalité virtuelle
L’hypnose est utilisée de manière croissante dans le soin et « l’hypothèse est que le masque de réalité virtuelle faciliterait l’induction de l’hypnose au cours de procédures thérapeutiques douloureuses ou anxiogènes. L’objectif est donc d’associer les bénéfices des deux techniques pour favoriser le soulagement de la douleur et de l’anxiété », indique le Dr Chloé Chauvin, médecin anesthésiste-réanimatrice au CHU de Strasbourg et hypno-praticienne, qui a co-développé un logiciel permettant de faciliter l’hypnose pour différents types d’opérations médicales à l’aide d’un masque de réalité virtuelle (co-fondatrice de la start-up HypnoVR).
Les piliers de la réalité virtuelle sont l’« immersion », le « multisensoriel » (la sollicitation de plusieurs sens), afin d’enclencher la présence dans le monde de réalité virtuelle, ainsi que la réalisation de tâches cognitives et/ou physiques. Le côté immersif de la réalité virtuelle permet de rendre l’hypnose opérante sur des personnes qui sont pourtant peu suggestibles.
« Comme d’autres études, nous avons pu montrer que l’efficacité de l’hypnose par réalité virtuelle est indépendante de la suggestibilité du patient à l’hypnose elle-même », précise-t-elle. Autrement dit, la réalité virtuelle facilite l’entrée en hypnose chez des personnes qui sont peu accessibles à cette technique. En effet, on considère généralement que certains patients, environ 20 %, sont faiblement hypnotisables. Cependant, la majorité des patients présentent une capacité hypnotique moyenne à élevée. « La réalité virtuelle active (jeux de réalité virtuelle, par exemple) en comparaison avec la réalité virtuelle passive est plus efficace, reconnaît le Dr Denis Graff, médecin anesthésiste-réanimateur à la clinique Rhéna (Strasbourg) et hypno-praticien (co-fondateur de la start-up HypnoVR). Dans notre dispositif, le côté actif est remplacé par les consignes données au patient pour entrer en état d’hypnose. Le scénario engage le patient dans une démarche active de focalisation de son attention. »
Un état hypnotique proche d’une séance d’hypnose classique
« Afin de personnaliser la séance d’hypnose à l’instar de ce qui est réalisé en hypnose classique, le patient est invité à choisir ses environnements visuel et sonore, ainsi que la voix du thérapeute, détaille Chloé Chauvin. Le praticien, en fonction de la procédure médicale/chirurgicale et de sa durée (programmes de 10, 20 minutes ou de longueur libre), adaptera le choix du texte hypnotique. La vingtaine de scénarios se calent sur des structurations d’hypnose médicale classique, et peuvent être utilisés en préopératoire, pendant l’opération et en postopératoire ». Ils sont constitués d’une phase d’induction (entrée dans l’état d’hypnose, avec une sensation de dissociation corps-esprit, de lâcher-prise), puis d’une phase de suggestion (suggestions spécifiques à l’indication thérapeutique : confort, confiance, bien-être, analgésie, récupération rapide), et d’une phase de retour. Tout cela est également traduit dans les six univers visuels, avec une progression narrative et une structuration précise. Loin d’être confronté à une succession de plans fixes, le patient est incité à un cheminement, à un parcours qui rejoint la démarche hypnotique classique. Les quatre univers musicaux (musique classique, musique électronique douce, musique du monde et musique acoustique) respectent aussi une structuration étudiée. « Les séquences musicales font appel à la musicothérapie utilisée dans les soins, souligne le Dr Graff, et sont construites en « U » : la progression fait appel à une orchestration assez riche avec de nombreux instruments et des harmoniques, puis le rythme ralentit avec moins d’harmoniques et d’instruments, puis la musique prend le chemin inverse. Des musicothérapeutes du Conservatoire de Paris ont composé ces programmes musicaux. »

Alléger l’anxiété en cardiologie interventionnelle
Le masque d’hypnose par réalité virtuelle peut être utilisé au cours d’interventions sous anesthésie locale, en per-procédure, c’est-à-dire au choix avant, pendant et après la procédure diagnostique et/ou thérapeutique.
Un prototype HypnoVR a été testé en 2018 et en 2019 dans différents hôpitaux français et a montré des bénéfices dans des situations de douleur aiguë et chronique et dans plusieurs indications : lors de la ponction d’ovocytes pour la procréation médicalement assistée, de la mise en place de chambre implantable et de chirurgie de la scoliose en pédiatrie, en phlébologie chirurgicale, en urologie (lithotritie extracorporelle, pose et ablation de sonde JJ), en chirurgie dentaire, lors de la réfection de pansements, etc.
Bien que commercialisé en 2019, l’intérêt du dispositif n’avait pas encore été exploré dans le domaine de la cardiologie interventionnelle. Mais depuis fin 2020, plusieurs études sont encore en cours en France, dans des services de cardiologie interventionnelle, en rythmologie et en coronarographie. « Cela permet parfois de remplacer la sédation médicamenteuse (anxiolytiques) lors de l’intervention de cardiologie interventionnelle, explique le Dr Graff, ou du moins de l’alléger ainsi que l’antalgie de manière générale, ce qui est retrouvé dans la littérature scientifique. Le patient est plus calme, moins stressé, et par conséquent les soignants également. »
L’expérience du service de cardiologie de l’hôpital Lariboisière

Une étude préliminaire a été menée dans le service de cardiologie de l’hôpital Lariboisière, en collaboration avec B.Braun et HypnoVR, coordonnée par les infirmières Sonia Guay et Clélie Defforge. Sonia Guay en résume les points clés : « 15 patients ont été inclus en 2021, dont 80 % ont été pleinement satisfaits, 20 % moyennement satisfaits. 27 % se sont assoupis au cours de la procédure. Une réduction majeure a été mentionnée par la plupart des patients vis-à-vis de l’anxiété, avec une absence de douleur ressentie et aucun antalgique administré. Quelques patients ont nécessité un bolus de sédation, mais en déclarant un confort de 10/10 lors de la procédure. »
La start-up HypnoVR a engagé des programmes de Recherche & Développement, afin d’évaluer la solution chez des volontaires sains. Dans les différentes études, plusieurs centaines de patients ont déjà été inclus, en partenariat avec des institutions, comme le CHU de Strasbourg ou l’hôpital Lariboisière (Paris) en particulier. La poursuite de ces études permettra d’affiner les indications et les bénéfices de cette solution.
Témoignage de Michel : « S’évader avant l’intervention » et « être apaisé pendant la procédure »

Michel vient tout juste de subir une coronarographie dans le service de cardiologie de l’hôpital Lariboisière (Paris). Interrogé au sortir de l’intervention, il est très favorable à l’utilisation de l’hypnose au moyen d’un masque de réalité virtuelle, qu’il utilise pour la seconde fois : « Avant l’intervention, l’hypnose au moyen de la réalité virtuelle permet de se relâcher et de se détendre, aussi bien sur le plan musculaire qu’intellectuel. Pendant l’intervention, cela permet de s’abstraire du contexte opératoire qui peut créer une certaine angoisse, et de l’anxiété. Les univers visuels, hypnotiques et sonores, sont captivants, attrapent l’attention, et permettent de se focaliser sur soi-même, avec une certaine tranquillité et un apaisement appréciable. »
L’immense majorité des patients peuvent en bénéficier. En effet, les contre-indications sont très limitées (migraineux sévères, troubles psychiatriques et psychologiques, épilepsie mal équilibrée, troubles auditifs et visuels, vision monoculaire.) « Selon nos études conduites avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), nous avons constaté 0,8 % de nausées ressenties. Afin de limiter cette « cybercinétose », les déplacements dans l’univers virtuel sont lents, toujours rectilignes, avec des déplacements vers l’avant, jamais latéraux afin d’éviter les conflits entre la vue et l’oreille interne », assure le Dr Chauvin.
Hélène Joubert, journaliste