Avec le vieillissement naturel et/ou les facteurs de risque (diabète, surpoids, hypertension, tabagisme), les artères qui irriguent le cœur, appelées « coronaires », finissent par se boucher. Cette occlusion peut être totale, due à la formation d’un caillot (thrombus) et survenir brutalement sous forme d’un infarctus du myocarde. Elle peut n’être aussi que partielle, comme dans l’angine de poitrine. Mais un phénomène d’un troisième type existe : le rétrécissement –sténose- du diamètre artériel, insidieux, progressant sur de longues années voire des décennies. Cela conduit jusqu’à l’occlusion complète, et passe souvent inaperçu. On parle alors d’« occlusion coronaire chronique » ou CTO.
Dans ce cas, rétablir une irrigation suffisante du cœur, en désobstruant l’artère concernée au moyen d’une angioplastie, est une prouesse. Le service de cardiologie de l’hôpital Lariboisière en a fait l’une de ses spécialités depuis 2010.
En vieillissant, le diamètre des artères coronaires rétrécit. Ce processus peut s’accélérer chez certaines personnes et, en quelques décennies, conduire à une sténose limitant fortement le flux sanguin alimentant le cœur. Le plus souvent, les personnes ayant une occlusion coronaire chronique ne ressentent aucun symptôme ; elles ne consultent donc généralement pas. L’occlusion coronaire chronique (CTO), contrairement à l’occlusion aiguë dans l’infarctus du myocarde, survient très progressivement, permettant au muscle cardiaque de s’adapter. A l’image des racines d’un arbre, le cœur va peu à peu compenser l’insuffisance de la racine principale en développant des « racines périphériques » appelées artères collatérales. Ces sortes de pontage naturel partent des deux autres artères coronaires saines. Ainsi, le cœur ne souffre pas : il reste intact au repos sur le plan de son alimentation en oxygène.
« Si je devais dresser un portrait robot de ces patients, je dirais que les deux-tiers sont des hommes, âgés de 50 à 60 ans, ayant une activité physique assez soutenue, résume le Dr Georgios Sideris, cardiologue interventionnel à l’Hôpital Lariboisière (APHP, Paris). En effet, pour tolérer une occlusion assez ancienne il faut avoir sollicité son muscle cardiaque, entraîné à travailler avec un débit d’oxygène réduit. C’est pourquoi l’occlusion se développe de façon souvent asymptomatique. Ce « pré-conditionnement » apporte la preuve que le sport et l’activité physique sont bons pour le cœur et l’organisme, en stimulant la genèse de petites artères collatérales ».
En général, les cardiologues découvrent un déficit de vascularisation d’une paroi cardiaque fortuitement, au décours d’un examen de routine, comme une scintigraphie à l’effort, par exemple, prescrite lors d’un bilan systématique d’une personne ayant des facteurs de risque. Une occlusion est retrouvée dans 15 à 25% des cas lors d’une coronarographie diagnostique.
Pour la majorité des patients, les symptômes à l’effort sont une dyspnée (difficulté à respirer) et/ou un angor d’effort (angine de poitrine) mais ils peuvent aussi être inexistants. C’est parce que les phénomènes de régulation du flux sanguin se sont installés très progressivement ».
Depuis une dizaine d’années, les cardiologues interventionnels préfèrent généralement ne pas laisser s’installer cette situation et cherchent à réouvrir l’artère. La désobstruction va permettre d’améliorer les symptômes voire la fonction du ventricule gauche, le risque d’arythmie. Concernant la survie à long terme, des études sont en cours
Récemment, le matériel d’angioplastie des occlusions chroniques (guides, sondes) s’est considérablement perfectionné, facilitant l’émergence d’une sous-spécialité en cardiologie interventionnelle dédiée aux CTO, en plein essor. Les cardiologues sont actuellement en mesure de désobstruer plus de 80% des artères occluses de façon chronique.
Concrètement, le cardiologue introduit des guides jusqu’aux artères coronaires droite et gauche via l’artère radiale au niveau du bras. Par exemple, il peut « attaquer l’occlusion par l’arrière » : si la coronaire droite est occluse, il remonte par la coronaire gauche, entre dans le cœur pour s’aventurer dans les petites collatérales et ainsi ressortir par la coronaire droite et la désobstruer. On peut ainsi se retrouver dans la situation où le même guide entre par un bras, et ressort par l’autre en ayant traversé le cœur.
Le défi ultime du cardiologue interventionnel
« Alors qu’une angioplastie au sein d’une artère coronaire peut s’apparenter à créer une autoroute dans une plaine, l’angioplastie des occlusions chroniques revient à forer un tunnel dans des conduits étroits, illustre Georgios Sideris. Ces lésions artérielles sont complexes et il est parfois difficile de localiser précisément l’occlusion ». L’intervention est délicate et longue, entre une et deux heures.
Depuis 2010, le service de cardiologie de l’hôpital Lariboisière est une référence dans l’angioplastie des occlusions chroniques, tant dans l’expertise que dans le volume de patients traités. Dans ce centre-expert, près de 80 patients sont opérés chaque année, un chiffre en constante augmentation. Des journées d’intervention leur sont réservées, où plusieurs cardiologues seniors travaillent ensemble aux cas les plus difficiles. Plusieurs fois par an des ateliers avec des confères cardiologues d’autres hôpitaux français sont organisés, sous l’égide notamment de référents japonais, pionnier de cette sous-spécialité en cardiologie interventionnelle.
Hélène Joubert, journaliste
Pour en savoir plus : L’occlusion coronaire chronique (CTO) (explications et vidéo)