Les femmes sous-estiment leur exposition au risque cardiovasculaire. Or, la pathologie cardiovasculaire (infarctus du myocarde, accidents vasculaires cérébraux, maladies des artères-artériopathies, insuffisance cardiaque…) constitue la première cause de mortalité chez la femme et reste trop peu dépistée. Le Dr Stéphane Manzo-Silberman, cardiologue dans le service de cardiologie de l’hôpital Lariboisière et membre de la commission cœur de femme de le fédération Française de cardiologie* démonte les idées reçues.
Le risque d’événements cardiovasculaires des femmes est considéré à sa juste valeur.
FAUX.
Dr S M-S : « Les facteurs de risque, traditionnellement considérés comme étant plutôt masculins, concernent pourtant aussi les femmes et sont souvent négligés chez elles, en particulier, l’hypertension artérielle, les dyslipidémies ** ou le diabète sont insuffisamment recherchés mais aussi moins agressivement traités. Combien de femmes rapportent une « petite » hypertension, « un peu de diabète » ou un « petit cholestérol » ? Ces adjectifs n’ont pas lieu d’être. Lorsque ces maladies existent, nous disposons de thérapeutiques efficaces. Seul un traitement efficace associé au contrôle de ces facteurs de risque permettra de diminuer la probabilité de survenue d’accident cardiovasculaire. Rappelons que la pathologie cardiovasculaire tue dix fois plus que le cancer du sein ».
Il existe des facteurs de risque cardiovasculaires spécifiques aux femmes.
VRAI.
Dr S M-S : « Les femmes sont exposées à des facteurs de risque supplémentaires, plus spécifiques au sexe féminin notamment les complications de grossesse (diabète gestationnel, prééclampsie-hypertension artérielle gravidique, hématome rétro-placentaire etc.) sont des marqueurs d’un risque vasculaire. Leur présence, ainsi que l’hérédité c’est-à-dire un évènement cardiovasculaire avant l’âge de 40 ans chez un parent du premier degré, doit inciter les médecins gynécologues et généralistes à orienter ces femmes vers des consultations de cardiologie pour traquer chez elles et traiter efficacement les facteurs de risque classiques et organiser un suivi. Un autre facteur qui explique une grande partie de l’« épidémie » d’infarctus du myocarde est le tabagisme. Aujourd’hui, 80% des femmes des moins de 50 ans qui font un infarctus du myocarde fument ».
Les femmes ont des signes d’infarctus du myocarde *** atypiques comparé aux hommes.
VRAI et FAUX.
Dr S M-S : « Si l’on part du principe que les femmes ont des signes d’infarctus du myocarde totalement atypiques, on est découragé à l’avance. Or, dans 70% des cas, hommes et femmes vont présenter les mêmes signes classiques, à savoir une douleur rétro-sternale constrictive. La différence est, qu’à cette douleur typique, se rajoutent chez elles un éventail de signes, jusqu’à sept en moyenne, allant de la fatigue et de l’essoufflement aux palpitations. Cela peut totalement dévier le diagnostic ».
Les femmes qui font des infarctus du myocarde sont de plus en plus jeunes.
VRAI.
Dr S M-S : « L’analyse des registres français FAST MI révèle que de plus en plus de femmes jeunes – de moins de 60 ans – sont touchées par l’infarctus du myocarde. Le nombre d’hospitalisations pour cette raison a sensiblement progressé chez les femmes jeunes, et tout particulièrement sur la tranche d’âge 45-54 ans. En 10 ans, il y a eu +20% d’infarctus du myocarde en plus chez les femmes de moins de 60 ans (données BEH, InVS, 2016).».
L’effet protecteur des estrogènes est battu en brèche par une mauvaise hygiènes de vie.
VRAI.
Dr S M-S : « La paroi interne de l’artère (endothélium) chez la femme est extrêmement sensible à l’effet protecteur des œstrogènes. Leur action est à la fois anti-agrégante plaquettaire (empêche les caillots sanguins responsables des thromboses), vasorelaxante et antiproliférative (l’artère ne va pas s’hypertrophier). Les estrogènes naturels favorisent le bon métabolisme du cholestérol et protègent du diabète. Cependant, le fait d’être obèse et diabétique amoindrit cet effet protecteur des estrogènes. Celui-ci disparait aussi progressivement à la péri-ménopause, aux environs de 45-50 ans. Malheureusement, les artères chez la femme sont plus petites que celles des hommes et plus sensibles aux effets toxiques du tabac et du cholestérol, du diabète mais aussi du stress ces facteurs de risque –physiologiques mais aussi d’hygiène de vie- vont contrecarrer les effets naturels protecteurs des estrogènes.
C’est pourquoi rapidement après la ménopause – en à peine 5 ans – elles subissent de plein fouet la carence en estrogènes protecteurs et vont développer en 10 ans environ ce que les cardiologues appellent « un risque vasculaire ». Encore plus que chez les hommes, leurs artères peuvent se rigidifier, donnant une hypertension dite systolique très sévère ce qui favorise les accidents vasculaires cérébraux. De plus, privées de leurs estrogènes, elles vont développer le fameux « syndrome métabolique de la ménopause » avec une obésité abdominale favorisant la synthèse de mauvais cholestérol (le LDL cholestérol), une l’inflammation et provoquant aussi une résistance à l’insuline, le premier pas dans la maladie diabétique. Alors même que le syndrome métabolique est un véritable accélérateur de la maladie vasculaire athéromateuse (dépôt dans les artères de plaques de cholestérol ou athérome) **** ».
La réadaptation cardiaque est réalisée aussi bien par les hommes que les femmes.
FAUX.
Dr S M-S : « En plus d’être frappées plus jeunes et plus durement par la maladie cardiovasculaire que les hommes, les femmes sont moins nombreuses à suivre une réadaptation cardiaque (BEH N° 5 | 4 Février 2014). Non seulement les médecins ont un peu moins tendance à leur proposer mais celles-ci l’acceptent moins souvent. La principale raison est qu’elles doivent gérer une famille et leur travail. Après le séjour hospitalier, il faut en effet y consacrer trois demies journées par semaines (ou trois semaines d’hospitalisation pour les cas les plus graves) ».
A voir, le court-métrage « Préjugés » – Une réalisation signée Maïwenn pour la Fédération Française de Cardiologie
Propos recueillis par Hélène Joubert, journaliste
* Pour en savoir plus : https://www.fedecardio.org/laction-de-la-ffc-sur-le-coeur-des-femmes)
** Concentration anormalement élevée ou diminuée de lipides (cholestérol, triglycérides, phospholipides ou acides gras libres) dans le sang.
***Destruction d’une partie du muscle cardiaque appelé myocarde suite à la formation d’un caillot ou thrombus dans l’artère coronaire qui irrigue le cœur.
**** La prise d’un traitement hormonal de la ménopause n’a pas à ce jour montré de bénéfice vis-à-vis du risque vasculaire chez la femme ménopausée.