Dans le service de cardiologie de l’hôpital Lariboisière, les spécialistes prennent soin du cœur et des artères de leurs patients mais également de leur psychisme. La psychologue Marie-Christine Darricau travaille au chevet des patients hospitalisés et auprès de ceux qui suivent une réadaptation cardiaque.
Comment le soutien psychologique est-il entré dans un service de cardiologie ?
M.C.D : Au départ, l’accompagnement psychologique était réservé aux patients ayant des troubles du rythme cardiaque auxquels on implantait un stimulateur cardiaque. Nombre d’entre eux souffraient de troubles anxio-dépressifs. Je voyais également les patients en réadaptation cardiaque ambulatoire, dont la vie nécessite potentiellement des aménagements au quotidien mais aussi des réaménagements psychiques, comme l’acceptation de la maladie, la réorientation professionnelle… Progressivement, mon activité s’est étendue à l’ensemble de la cardiologie.
Dans une moindre mesure, il m’arrive d’intervenir dans les interactions entre les professionnels de santé et les patients, à l’occasion de situations pouvant heurter les soignants (décès de patients, etc.), plutôt sous forme d’aide informelle. Je peux parfois faire office de tiers avec le personnel paramédical ou médical en cas de stress, quelle qu’en soit la nature, ou de difficultés relationnelles.
Aujourd’hui, quels sont vos patients en cardiologie ?
Je vois principalement des patients souffrant de troubles anxieux, en état de stress aigu lié à une charge émotionnelle intense ou de stress chronique lié au rythme ou aux conditions de vie… Ces patients sont essentiellement coronariens. Par ailleurs, les patients insuffisants cardiaques peuvent développer un syndrome dépressif lié à l’épuisement qu’engendre la maladie. Tous ces patients requièrent un repérage précoce avec l’objectif d’instaurer une prise en charge psychologique pour prévenir le risque d’une décompensation psychique plus sévère.
La maladie chronique oblige souvent à des réaménagements psychiques. Mon travail consiste à les aider à trouver leurs propres ressources, des stratégies pour vivre au mieux avec les contraintes qu’impose la maladie (les traitements, les régimes, les examens réguliers…). Pour certains, ils devront faire le deuil de leur vie d’avant et, pour cela, ils pourront ressentir le besoin d’un soutien psychologique.
Les patients greffés du cœur nécessitent également un accompagnement, en amont et sur le long terme après l’intervention. Cet accompagnement peut se poursuivre sur plusieurs mois, lorsqu’ils continuent à se rendre à l’hôpital Lariboisière à l’occasion des séances de réadaptation cardiaque . Ils peuvent néanmoins me solliciter ultérieurement, lorsqu’un événement de vie fait écho à leur pathologie cardiovasculaire.
Comment un patient peut-il bénéficier de vos soins ?
Je me consacre essentiellement aux personnes hospitalisées ou celles prises en charge en ambulatoire, souvent à l’initiative du médecin, de l’infirmier(e), de l’aide-soignant(e), ou si le patient en a fait lui-même la demande. Après chaque consultation, j’adresse un retour systématique au soignant qui m’a sollicitée, afin d’aider aux soins dans une optique de prise en charge globale (somato-psychique).
Je peux voir jusqu’à trente patients chaque semaine dans le service de cardiologie.
La demande d’accompagnement psychologique de la part des patients croît avec les années. Le recours au « psy » s’est démystifiée, tant du côté des soignants que des soignés et l’on hésite beaucoup moins à faire appel à un psychologue, a fortiori dans ces situations souvent traumatisantes vues en service de cardiologie, en Unité de soins intensifs en cardiologie (USIC) ou en réanimation.
En quoi consiste l’aide psychologique que vous leur proposez ?
Je ne suis pas un coach ; mon rôle est de comprendre comment la personne appréhende sa maladie, quelles sont les représentations qu’elle a de celle-ci, puis de l’accompagner dans ce changement. Les patients ayant vécu un arrêt cardio-respiratoire, hospitalisés en réanimation après une période de coma, se retrouvent souvent, le temps de quelques semaines, dans une espèce d’entre-deux ; car « revenir à la vie », sorte de « transgression », peut s’avérer très troublant. Mon travail est de les soutenir, de les aider à reprendre le cours de leur vie après cet événement particulièrement traumatique.
A la fin de l’hospitalisation, je peux proposer lorsque c’est nécessaire (anxiété importante…) avec l’accord du patient, un suivi psychologique le temps que s’établisse un relais en ville avec un confrère. Enfin, il m’arrive de solliciter les équipes de psychiatrie de liaison de l’hôpital Lariboisière, pour un avis médical au sujet d’un patient, d’où l’importance du repérage précoce au moment de l’hospitalisation.
Recevez-vous aussi des proches de patients ?
La dimension familiale doit être prise en compte et je peux être amenée à recevoir les familles des patients hospitalisés. En effet, la survenue d’un événement soudain ou la fin de vie peut produire des effets collatéraux sur l’entourage. Je reçois des familles à leur demande ou celle de l’équipe, et toujours avec l’accord du patient. Ces consultations interviennent dans des situations aigües où la vie du patient a été en jeu mais également dans le cas de pathologies chroniques. Ces consultations ont pour but d’évacuer une charge émotionnelle importante qui peut, dans certaines situations, désorganiser les rôles et fonction de chacun. Il n’est pas rare par exemple que des épouses se transforment en infirmières, que des maris deviennent surprotecteurs… Mon rôle consiste à les aider à retrouver une vie « la plus normale possible », et à investir leur proche en tant que sujet et non en tant que malade.
En pratique, les lundi et mercredi après-midi sont dédiés au suivi des patients ainsi qu’aux consultations d’aide au sevrage tabagique car je suis également tabacologue. Chaque jour, lorsque je me rends dans les services de cardiologie et de réanimation, les médecins et/ou les équipes paramédicales me sollicitent pour m’entretenir avec les patients hospitalisés. Je peux voir les patients à plusieurs reprises au cours de leur hospitalisation. Quant aux patients inclus dans le circuit de réadaptation cardiaque, ils bénéficient de consultations programmées, au rythme d’une fois par semaine ou tous les quinze jours.
Propos recueillis par Hélène Joubert, journaliste.
La maladie coronaire et artérielle sous l’influence de facteurs psychologiques |
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Le cerveau peut être le pire ennemi du cœur et du système cardio-vasculaire, mais aussi son meilleur allié. Parce que l’état psychologique – stress, anxiété, dépression – joue beaucoup dans la maladie coronaire et artérielle, la “psychocardiologie” est née dans les années 2000. Pour préserver son cœur, avant un accident coronaire mais aussi après, pour limiter les récidives et l’aggravation de la maladie cardiovasculaire existante. Des milliers de publications soulignent l’impact de l’environnement psychologique sur les pathologies cardiaques, et vice versa. Cette discipline encore balbutiante explore la continuité de l’âme et du corps dont les preuves les plus étayées se rencontrent en cardiologie. Au point que les spécialistes qui s’y intéressent, encouragés par les sociétés savantes comme la société européenne de cardiologie (ESC) ou la société française de cardiologie (SFC), prédisent que d’ici à quelques années, tous les services de cardiologie mais aussi de réadaptation cardiaque (qui sont déjà très demandeurs, avec des psychologues de mieux en mieux formés), proposeront des soins de psychocardiologie, sur le modèle déjà bien implanté des soins de psycho-oncologie. En 2012, l’ESC a reconnu la nécessité de prendre en charge les facteurs psychiques (stress, anxiété, dépression) du fait d’un risque accru de survenue ou d’aggravation d’une insuffisance coronaire. Aux Etats-Unis, l’American Heart Association considère aussi la dépression comme un facteur de risque après un syndrome coronaire aigu. « Le stress psychosocial représente plus de 30 % du risque d’infarctu, indique le Dr Jean-Pierre Houppe, cardiologue et pionnier de la psychocardiologie en France*. C’est le troisième facteur de risque déterminant, quasiment à égalité avec le tabagisme et l’hypercholestérolémie. » * Auteur de l’ouvrage « Prendre soin de son cœur – Introduction à la psychocardiologie » (éd. Dunod, 2015) HJ, d’après une interview du Dr Jean-Pierre Houppe. |